People vs stones: what the Notre-Dame fire says about philanthropy

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Podcast "Philanthropy in question(s)" - Episode 30

People vs stones: what the Notre-Dame fire says about philanthropy - Amy Schiller, with additional comments by Anne Monier


The massive wave of donations that followed the fire at Notre-Dame de Paris (France) to finance its restoration has sparked many debates about philanthropy. What are we to think of the impressive amount of money raised in such a short period of time to repair a cathedral, when so many other important causes are in dire need of funds?


The 30th episode of our podcast comes out on the 5th anniversary of the Notre-Dame de Paris fire - and the year of its reopening. For this special occasion, we have decided to produce a special episode in which American researcher Amy Schiller shares her thoughts about the extraordinary fundraising that supported the rebuilding of the cathedral, and researcher Anne Monier from the ESSEC Philanthropy Chair reacts and adds her own views on the matter.


Amy Schiller presents the chapter "Cathedrals or lives" from her recent book The Price of Humanity: How Philanthropy Went Wrong - and How to Fix It (Melville House Publishing, 2023). An American perspective on what happened sheds new light on an event we think we know all about. An event that has shaped the recent history of fundraising in France, sparked a number of controversies and raised questions about the role of philanthropy in society.


* Amy Schiller's speech is in English. If needed, we added the French translation below.

The main ideas of the article:

Amy Schiller delivers three main ideas in her talk: 

To this, Anne Monier also adds 5 more points of response and conclusion, to listen to directly in the podcast.

➡️ Listen to the episode above to learn more!

French translation of Amy Schiller's speech:

"Bonjour Ă  tous,


Je suis Amy Schiller, chercheuse visitante à Dartmouth College aux Etats-Unis et auteure du livre The Price of Humanity: How Philanthropy Went Wrong and How to Fix It, publié en 2023 chez Melville House.

 

Je vous parle aujourd'hui d'un chapitre de mon livre intitulé "Cathedrals or Lives" (Cathédrales ou vies), qui s'appuie sur les recherches que j'ai menées sur la collecte de fonds pour restaurer Notre-Dame après l'incendie de 2019.


Mon livre s'intéresse au sens de la philanthropie, qui signifie littéralement “amour de l'humanité”. Cette définition permet selon moi d’apporter une définition de l’humanité dans son sens le plus large et le plus ambitieux.


De nombreux donateurs considèrent aujourd'hui la philanthropie comme une pratique utilitaire. Des acteurs influents comme Bill Gates veulent que leurs dons produisent les meilleurs résultats quantifiables possibles. Cela conduit à des pratiques d'évaluation de l'efficacité de la philanthropie basées, par exemple, sur le fait de garantir que, pour chaque dollar donné, le plus grand nombre de vies soient sauvées. Il s'agit d'une approche très rationaliste, axée sur la performance et la mesurabilité, qui aboutit à réduire d'autres êtres humains à de purs indicateurs. L'ironie est que cet argent qui se veut "philanthropique", expression de l'amour de l'humanité, finit par déshumaniser les personnes qui sont censées en bénéficier.


Je souhaite critiquer et réfuter cette posture - mais aussi proposer des alternatives. Montrer comment la philanthropie peut être utilisée pour affirmer l'humanité de tous. Pour ce faire, elle doit s'efforcer d'aider les gens non pas seulement à survivre, mais à s'épanouir. Elle doit défendre l'importance de la créativité, de la connexion, de l'imagination, du loisir et de l'émerveillement.

 

L'incendie de Notre-Dame s'est produit juste avant ma soutenance de thèse au printemps 2019. Dès le début, il était clair que l'incendie, et la réponse qui y a été apportée, était un moment important pour la philanthropie. Peut-être plus important encore, c’était un moment important pour le débat public sur la philanthropie et le rôle qu’elle devrait avoir. En l'espace de quelques jours seulement, Notre Dame a reçu des milliards de promesses de dons et, presque immédiatement, une polémique a éclaté, le fait de consacrer autant d’argent à la restauration d'une cathédrale au lieu de financer davantage la résolution de crises sociales telles que celle des sans-abri. Au cours de mes recherches, j'ai constaté que cet événement illustre à la fois ce que la philanthropie a de plus merveilleux et les problèmes particuliers qu'elle pose en l'absence d'un État-providence fort.


Je voulais analyser le problème de l'injustice, tout en reconnaissant à la philanthropie la capacité de préserver et valoriser des choses d'une grande beauté et d'une grande importance, des choses qui nous relient les uns aux autres et à des siècles de civilisation humaine.


J'ai passé environ une semaine à Paris à interviewer des universitaires comme Nicolas Duvoux et votre propre Anne Monier, ainsi que des personnes qui travaillent pour certaines des organisations affiliées, et une douzaine de citoyens ordinaires. Je dirais que mon travail le plus important a été de me rendre sur le site de la cathédrale et d'observer la manière dont les gens l'appréhendaient. J'ai documenté les panneaux qui, à l'époque, présentaient de magnifiques illustrations du processus de restauration et de ce que cela signifiait pour les habitants de Paris. J'ai vu les échafaudages, j'ai vu les gens se rassembler à toute heure du jour et de la nuit pour contempler l'édifice et lui rendre hommage, même s'ils ne pouvaient pas entrer à l'intérieur. J'ai également visité plusieurs musées qui présentaient des expositions sur l'histoire de Notre-Dame, et j'ai ainsi beaucoup appris sur le concept de patrimoine, qui est fondamental en France mais qui nous est peu familier aux États-Unis.


J'ai beaucoup lu sur l'histoire du financement des cathédrales et de Notre-Dame elle-même, et effectué une revue de presse de l'époque de l'incendie, ainsi que des mois précédents, marqués par la controverse sur les réductions d'impôts de Macron et les manifestations des Gilets jaunes. Mes lectures ont porté sur l'histoire, l'histoire de l'art, le journalisme, les sciences des médias, les sciences religieuses et même la littérature. Une partie très singulière de ce chapitre montre ainsi comment le pouvoir symbolique des cathédrales suscite l’émerveillement, à partir d'une nouvelle de l'écrivain américain Raymond Carver, intitulée "Cathédrale".


La découverte la plus surprenante pour moi a été la nature voilée des dons en France, par rapport aux États-Unis, où les grands dons sont si publics et banalisés. Avant de commencer à interroger des Français, je n'avais pas réalisé que la philanthropie y était beaucoup plus discrète et privée, bien moins visible qu'aux États-Unis. Nous sommes si habitués à voir les noms de personnes fortunées sur les hôpitaux, les musées et les universités. Si nous avions connu un incident équivalent à l'incendie de Notre-Dame, nous aurions pu nous attendre à un grand geste de la part d'un milliardaire. Tout le monde aurait haussé les épaules, applaudi ou levé les yeux au ciel, mais personne n'aurait été pris au dépourvu.


Cette découverte m'a vraiment aidée à comprendre pourquoi les promesses de dons importantes de Pinault, Arnault, etc. en faveur de Notre Dame ont suscité une telle controverse. J'ai appris qu'annoncer publiquement des dons importants était quelque chose de nouveau, d'inhabituel, et probablement d'un peu choquant. Cela m'a permis de comprendre que les gens sont moins exposés à ce type de grands dons, qu'ils sont moins habitués à constater à travers ces dons à quel point les gens riches ont de l'argent. Honnêtement, cela a été rafraîchissant d'entendre les Français réagir aussi vivement : les fortunes des milliardaires doivent en effet être considérées comme un phénomène choquant, voire inconvenant !

La thèse principale de mon chapitre est que la collecte de fonds de Notre Dame montre les deux visages de la philanthropie. Elle montre pourquoi les échecs politiques et les injustices économiques sont très néfastes pour la philanthropie à long terme, même si les dons atteignent des sommets - ET elle montre que la philanthropie peut aussi défendre des choses sacrées, le patrimoine, l'histoire, la beauté et la grandeur, et que tout le monde a intérêt à ce que ces choses perdurent. 

Dans ce chapitre, il s'agit en fait de réconcilier deux points de vue en apparence contradictoires. En discutant avec mes collègues français, j’ai compris qu’il y avait eu un cadrage "personnes versus pierres", c'est-à-dire comment financer un bâtiment, une cathédrale, alors que des personnes manquent de nourriture, d'abri, etc. La principale question est la suivante : les personnes et les pierres s'excluent-elles mutuellement ? Peut-on faire honneur aux deux ?


Je démêle ici deux idées qui tendent à se confondre : d'une part, les dons destinés à restaurer Notre-Dame permettent ou renforcent l'élitisme et les inégalités et, d'autre part, les échecs politiques conduisent les donateurs privés à intervenir et à financer les besoins élémentaires en priorité.


Ma première idée est que nous avons besoin de justice politique si nous voulons disposer d'une philanthropie réellement satisfaisante. Le contexte a joué un rôle important. Le fait que les réductions d'impôts de Macron soient entrées en vigueur, que les manifestations des Gilets jaunes aient eu lieu ce printemps-là, qu'il y ait déjà une énorme tension à propos de l'enrichissement des plus riches, de l'abandon de tous les autres citoyens par le gouvernement et de leur lutte pour s'en sortir - ce climat politique était particulièrement défavorable à la grande philanthropie.


Ma deuxième idée est que, même en tenant compte de ces revendications politiques, il ne faut pas attendre de la philanthropie qu'elle résolve les situations d'urgence sociale. Il est bien pire d'attendre des plus riches  qu'ils nourrissent les pauvres à la place de nos institutions et politiques publiques. Nous devons donc nous attaquer à l'inégalité et à l'urgence sociale, mais pas en demandant à la philanthropie de fournir la solution. Une telle approche me semblerait à la fois inadéquate et contre-productive.


Ma troisième idée est que Notre Dame, et plus généralement les cathédrales et les espaces patrimoniaux, la culture, sont importants pour tout le monde. Ce serait une erreur de dire que la seule chose qui importe aux personnes les plus défavorisées est d'avoir suffisamment de nourriture et un logement, que les cathédrales n'ont pas d'importance pour eux, que ce sont des institutions élitistes dont seule l'élite se préoccupe. En fait, dès le début, Notre-Dame a été une expression de la communauté, une affirmation que le peuple de Paris voulait et pouvait construire sa propre cathédrale, en plein milieu de la ville. Ce n'est pas seulement un monument d'une grande richesse, c'est un témoignage des siècles et des millions de personnes qui ont trouvé du sens et contribué à leur échelle pour aider à soutenir ce lieu si extraordinaire.


Notre-Dame nous aide donc à comprendre que oui, la justice sociale et politique est nécessaire, mais que non, nous ne devons pas réduire la philanthropie à un État-providence de secours, et que oui, il est acceptable et même positif que la philanthropie soutienne et valorise des choses telles que les cathédrales. Nous avons besoin d'espaces signifiants qui nous relient les uns aux autres, à l'histoire, à nous-mêmes - ce sont ces choses qui font de nous des êtres humains. Et c'est exactement ce que la philanthropie devrait soutenir.

Pour conclure, je voudrais insister sur quelques aspects intéressants de ce chapitre. Il souligne que Notre-Dame illustre à quel point le sublime nous est nécessaire, à quel point il contribue à préserver notre humanité. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consiste à dire que l'on ne peut pas avoir quelque chose de beau, d'historiquement significatif ou de sacré si l'on n'a pas d'abord assuré, d'une manière ou d'une autre, les besoins fondamentaux de chacun. La rédaction de ce chapitre m'a permis de comprendre que les gens veulent les deux, un monde favorable aux humains comme aux pierres, et que les "pierres", les cathédrales du monde, nous aident à nous considérer et à considérer les autres comme des êtres humains à part entière - et non seulement comme des bouches à nourrir. Nous devons donc faire les deux : exiger plus de justice sociale et politique ET accepter le rôle que la philanthropie peut jouer et continuerait à jouer même dans les conditions les plus égalitaires : celui de faire vivre nos cathédrales et, par là même, nos âmes, notre humanité."

- Amy Schiller

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